Journée des violences faites aux femmes

Publié le 25 novembre 2025 à 20:12

 Quand on pense à l’opéra, on imagine tout de suite la beauté, les voix, les costumes, les histoires passionnées. Mais derrière cette image brillante, il y a quelque chose de beaucoup plus sombre : les femmes n’y ont presque jamais droit à un destin qui finit bien.

Elles souffrent, elles meurent, on les poignarde, on les trahit, on les enferme, on les pousse à la folie. Et tout ça se répète, œuvre après œuvre, au point qu’on ne le voit même plus. Ou qu'on trouve ça normal. C'est l'esthétique. C'est le thème. C'est le drame. 

 

En réalité, l’opéra a longtemps mis en scène exactement ce que la société faisait vivre aux femmes  : domination, violence, normes rigides, silences imposés.

On a l’impression que tous les grands rôles féminins passent par la même trajectoire : plus elles sont lumineuses au début, plus elles tombent bas à la fin. 

 

🎭 Violetta (La Traviata) se consume littéralement, rejetée par une société hypocrite.

🎭 Tosca est prise dans un engrenage de chantage sexuel et finit par tomber dans le vide. Harcèlement et suicide vendus comme drame passionné...

🎭 Carmen est assassinée parce qu’elle ose dire qu'elle ne veut plus. 

🎭 Gilda (Rigoletto) meurt pour un homme qui l'enlève, l'agresse sexuellement et elle va jusqu'à se sacrifier pour le sauver de la vengeance.

🎭 Lucia di Lammermoor sombre dans la folie après avoir été manipulée par les hommes de sa famille. 

🎭Et que dire de Madama Butterfly, adolescente abandonnée, humiliée, utilisée.

 

J'en passe. Et des pas meilleures. 

Ce n’est pas juste une série de drames indépendants : c’est une grille de lecture qui revient constamment. La femme désirée devient la femme détruite. La femme libre devient la femme punie. La femme loyale devient la femme sacrifiée. 

Surprise.

L'opéra a été écrit par des hommes pour des hommes. 

Les compositeurs, les librettistes, les patrons des théâtres… (presque) tous étaient des hommes.

Les héroïnes sont souvent façonnées selon leurs fantasmes, leurs peurs ou leurs projections.

Les femmes sont des hystéros mon pauvre Monsieur" 

 

Les grandes scènes féminines sont souvent des scènes de folie, de cris du cœur...

Plus la femme souffre, plus elle chante « beau ». C’est un héritage romantique qui glorifie l’émotion brute certes.  Mais qui enferme aussi la femme dans la douleur.

Les œuvres n’ont pas inventé la violence : elles l’ont répétée, parfois sans la questionner.

 

Quoiqu'on pourrait faire une parenthèse sur Verdi. 

Chez lui ,l’attention portée aux personnages féminins dépasse largement le simple rôle de faire-valoir dramatique ou d’objet de souffrance.  Les héroïnes verdiennes sont souvent investies d’une autonomie morale et d’une lucidité critique qui leur permettent de commenter ( parfois implicitement, parfois directement)  les rapports de pouvoir et les injustices de leur société.

Sur le plan musical, Verdi utilise des procédés musicaux précis pour renforcer cette caractérisation :

 

🎶 Les lignes vocales , les intervalles audacieux et les coloraturas expressives traduisent  la force de caractère des femmes, plutôt que de se limiter à une expression de fragilité.

🎶 La relation voix-orchestre est souvent conçue pour placer la femme au centre du discours musical, même dans les scènes de confrontation ou de crise, ce qui lui confère un rôle actif dans la progression dramatique.

 

Ainsi, sans être féministe au sens moderne du mot, Verdi manifeste un regard critique sur les normes sociales et le sort des femmes  et son œuvre peut permettre aux interprètes de rendre audible cette critique sur scène. Loin de simplement subir la tragédie, les héroïnes verdiennes deviennent les outils d’une interrogation sociale subtile qui résonne encore aujourd’hui.

 

 

Les mises en scène actuelles : ouvrir les yeux plutôt que fermer les rideaux

 

Depuis quelques années, beaucoup de metteurs en scène ont décidé d’arrêter de jouer ces tragédies « comme si de rien n’était ». Et ça rougne. Ça râle. Ça siffle. Comme si on ne voulait de Violetta que crinoline et jolis airs. 

Certain•es montrent la violence telle qu’elle est : crue, dérangeante, réelle.

D’autres recontextualisent, replacent l’héroïne au centre, ou montrent ce que le livret passait sous silence : la pression sociale, l’emprise, les rapports de force.

 

On voit aussi de vraies relectures :

 

✴️Carmen n’est plus « la séductrice dangereuse voire un peu catin », mais une femme victime d’un féminicide.

✴️ Butterfly n’est plus un symbole exotique de fantasme mais une jeune fille écrasée par le colonialisme.

✴️Tosca n’est plus une « diva capricieuse et limite hystéro », mais une femme harcelée par un homme puissant.

 

Ces choix ne dénaturent pas l’opéra.  Ils le révèlent. Et lui donne enfin du sens. 

 

Vous m'excuserez mais la caricature de l'opéra du second empire en 2025 ,on en a ras le bol.  On est pas là pour faire joli, nous autres musicien•nes . Spoiler on fait partie de la société. Et on a aussi des choses à dire. 

La bonne nouvelle, c’est que le répertoire s’ouvre.

Des compositrices prennent la parole. Des histoires nouvelles naissent, portées par des biais différents.

Les institutions commencent (timidement et souvent avec hypocrisie soyons honnêtes... coucou le pinkwashing et le feminisme washing) à questionner ce qu’elles programment et comment elles le présentent.

 

Il ne s’agit pas de censurer Verdi, Puccini ou Bizet...ou un autre. 

Il s’agit de regarder leurs œuvres autrement, avec conscience. De comprendre d’où viennent ces schémas et ce qu’ils disaient de leur époque. 

Et surtout, de décider ce qu’on veut en faire aujourd’hui.

 

L’opéra n’est pas un truc figé. 

C’est un art vivant, capable de montrer le pire comme le meilleur.

Parler des violences faites aux femmes à l’opéra, ce n’est pas attaquer l’opéra : c’est lui permettre de grandir, de s’ouvrir, de réparer aussi un peu ce qu’il a longtemps mis en scène sans recul.

Et accessoirement de proposer du neuf. 

Et de reconquérir un public. 

On ne va pas se mentir. Au pays des classiqueux , les salles se vident. Et on y est pour quelque chose avec nos réflexes et notre confort qui sent un peu la naphtaline.... Et nos préjugés poussifs. 

 

 

 

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